Géo-ingénierie – Marine de Gulliel-Mauvébert et Rémi Noyon sur LIMIT

Dans cette discussion passionnante, Marine de Gulliel-Mauvébert et Rémi Noyon explorent avec Vinz le monde complexe de la géo-ingénierie. Comment ces technologies, autrefois vues comme de la science-fiction, deviennent-elles une réponse envisagée à la crise climatique ?

La géo-ingénierie ne date pas d’aujourd’hui. Elle naît notamment pendant la guerre froide, avec des visées militaires. On cherche militairement à créer des catastrophes climatiques chez l’ennemi. Les USA ont cherché à créer des famines en URSS, et des inondations au Vietnam. L’engouement pour ces techniques va de paire avec la conquête spatiale. Nous sommes en plein mythe prométhéen de l’Homme qui va dompter la technique, la Nature, l’espace… 

La géo-ingénierie se caractérise par deux critères :

  • La modification intentionnelle de notre environnement
  • Cette modification doit avoir lieu. Grande échelle. Elle se distingue en cela de « petites » modifications du climat comme une très répandue en France notamment, consistant en l’ensemencement de nuages par des agriculteurs, ce afin d’éviter de grosses chutes de grêle (on envoie de l’iodure d’argent dans l’atmosphère, agissant comme les poussières autour desquelles se forment les grêlons). Pour une même quantité d’eau on a donc plus de grêlons, sur une grande superficie, rendant les grêlons plus petits et donc causant moins de dommages.

Il n’y a pas de consensus scientifique sur les techniques de modification du climat, notamment sur leurs conséquences potentielles (photosynthèse ? Événements météorologiques extrêmes ? Modification du régime des pluies ? Etc..)

On distingue deux grandes familles de techniques :

  • La capture de carbone, sorte d’aspirateur à carbone qui viendrait réduire la quantité de carbone dans l’atmosphère et donc le potentiel réchauffement du climat
  • La modification du bilan radiatif de la terre, à savoir la différence entre l’énergie captée par la Terre et émise. Ici aussi deux grandes familles de projets existent :
  • Le blanchiment des nuages marins, afin d’étendre et d’épaissir les nuages et ainsi refroidir localement les océans et réfléchir les rayons du soleil
  • L’injection d’aérosols dans la stratosphère : cela se ferait avec des avions qui pourraient libérer du soufre. Il faudrait de nombreuses rotations de ces avions car le soufre retombe au bout de 2 à 3 ans. 

Aujourd’hui c’est la Chine qui a le plus gros programme de géo-ingénierie. Ce programme s’appelle Sky river et devrait être fonctionnel en 2025. Les intervenants alertent sur les potentiels conflits avec l’Inde, étant donné que ces modifications de la météo pourraient avoir des effets potentiellement catastrophiques sur un territoire voisin. 

Par ailleurs, les USA sont très en pointe sur ces sujets. Côté européen, il y a pour l’instant un accord qui a dit non à l’utilisation de géo-ingénierie. 

Les intervenants s’inquiètent du fait que la géo-ingénierie est aujourd’hui commercialisée à n’importe qui. On vend du beau temps pour un mariage par exemple. C’est assez local, mais cela oeuvre à une acceptation générale de ces techniques, qui paraissaient impensables il y a peu. On pourrait tout à fait imaginer un couple riche entrepreneur et Etat (comme Elon Musk et Donald Trump), décidant de manière unilatérale, sans concertation avec les autres pays, de lancer un vaste programme de géo-ingénierie. Ils y auraient d’ailleurs tout intérêt, sachant que la plupart des 800 bases militaires américaines sont très vulnérables au changement climatique, et que par ailleurs ce serait un excellent moyen pour eux de ne pas contraindre les industries pétrolières pour des raisons de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Si nous pouvons capturer le carbone et par ailleurs refroidir le climat, alors il n’y a plus de raison de baisser les émissions ou de changer nos modes de vie.

Enfin, il existe selon eux un fossé entre notre niveau de maturité et de recul sur le sujet de la géo-ingénierie et la potentielle urgence, un jour, d’ utiliser ces techniques si nous voulons que la Terre reste habitable. 

Les scientifiques sont d’ailleurs aujourd’hui tiraillés entre se dire qu’il ne faut pas creuser ces techniques car elles fourniraient un argument de plus à un système capitaliste à bout de souffle pour ne rien faire par rapport au climat, et se dire qu’il faut les creuser pour être prêts si un jour nous en avons vraiment besoin.